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Madame Bovary : quand mariage rime avec ironie

Dernière mise à jour : 20 oct. 2023

Avec mes élèves, nous travaillons Madame Bovary, et cette lecture me plaît beaucoup.


Ce "livre sur rien" qui dézingue le romantisme est une merveille d'ironie.


Petit retour sur la scène du mariage.


Ah, le mariage ! Cette merveilleuse institution qui fait se réunir deux êtres, souvent sans vraiment savoir pourquoi, sinon pour manger une pièce montée et se faire lancer du riz dans la frimousse par des invités tirés à quatre épingles.


Parlons donc de ce jour où Charles, le médecin un peu naïf de Tostes, décide de se lancer dans l'aventure nuptiale avec la belle Emma.


D'abord, il faut comprendre le contexte. Charles, notre brave homme, a déjà été marié. Un coup de folie de jeunesse, disons. (Bon... plutôt l'oeuvre de Madame Bovary mère.) Sa première femme était plus vieille, dominante et, franchement, assez ennuyeuse. Quand elle disparaît de l'intrigue (disons-le poliment), Charles est libre de chercher un nouvel amour. Et qui mieux qu'Emma pour combler son cœur ?


Emma, elle, est l'opposé de la première Mme Bovary. Belle, jeune, rêveuse, elle semble être la perle idéale (métaphore cliché, façon Emma) pour Charles. Bon, elle est peut-être aussi un peu trop portée sur les romans à l'eau de rose et a tendance à idéaliser l'amour, mais qui peut lui en vouloir ? Elle est jeune, et qui parmi nous n'a pas été jeune et stupide ?


La scène du mariage est un véritable tableau ! Imaginez le petit village normand, avec ses habitants venus observer le spectacle. La curiosité est à son comble, après tout, c'est LE grand événement de l'année. Une robe longue qui se prend dans les chardons, un ménétrier qui joue du crin-crin dans la campagne et sème les invités derrière lui. Et Charles ? Eh bien, il est... Charles. En costume, un peu gauche, mais avec un grand sourire niais sur le visage.


La cérémonie elle-même est assez classique. En fait, on ne la voit même pas. On ne peut que supposer des vœux échangés, des regards énamourés, et une foule qui se demande combien de temps cela va durer.


Ensuite, qui dit mariage, dit repas qui dure des heures. Les invités sont gâtés :


C’était sous le hangar de la charretterie que la table était dressée. Il y avait dessus quatre aloyaux, six fricassées de poulets, du veau à la casserole, trois gigots et, au milieu, un joli cochon de lait rôti, flanqué de quatre andouilles à l’oseille. Aux angles, se dressait l’eau-de-vie, dans des carafes. Le cidre doux en bouteilles poussait sa mousse épaisse autour des bouchons, et tous les verres, d’avance, avaient été remplis de vin jusqu’au bord. De grands plats de crème jaune, qui flottaient d’eux- mêmes au moindre choc de la table, présentaient, dessinés sur leur surface unie, les chiffres des nouveaux époux en arabesques de nonpareille. On avait été chercher un pâtissier à Yvetot, pour les tourtes et les nougats.



Quant à la pièce montée, elle est fidèle aux clichés romantiques d'Emma :


À la base, d’abord, c’était un carré de carton bleu figurant un temple avec portiques, colonnades et statuettes de stuc tout autour, dans des niches constellées d’étoiles en papier doré ; puis se tenait au second étage un donjon en gâteau de Savoie, entouré de menues fortifications en angélique, amandes, raisins secs, quartiers d’oranges ; et enfin, sur la plate-forme supérieure, qui était une prairie verte où il y avait des rochers avec des lacs de confitures et des bateaux en écales de noisettes, on voyait un petit Amour, se balançant à une escarpolette de chocolat, dont les deux poteaux étaient terminés par deux boutons de rose naturelle, en guise de boules, au sommet.


Tout comme la célébrissime casquette de Charles, je vous mets au défi de la dessiner !


Midjourney s'y est cassé ses neurones artificiels :


Mais revenons à notre mariage. Pendant la fête, la mère de Charles ne desserre pas les dents, car on ne l'a consultée ni sur la toilette d'Emma ni sur le repas de la noce. Et pendant ce temps, Emma, la tête dans les nuages, s'imagine déjà vivre une grande histoire d'amour avec un prince charmant. Pas de chance pour Charles !


Les invités, eux, n'ont rien de romantiques :


Tout le monde était tondu à neuf, les oreilles s’écartaient des têtes, on était rasé de près ; quelques-uns même qui s’étaient levés dès avant l’aube, n’ayant pas vu clair à se faire la barbe, avaient des balafres en diagonale sous le nez, ou, le long des mâchoires, des pelures d’épiderme larges comme des écus de trois francs, et qu’avait enflammées le grand air pendant la route, ce qui marbrait un peu de plaques roses toutes ces grosses faces blanches épanouies.


Mais c'est après la cérémonie que les choses se gâtent. La fête bat son plein, et on pourrait penser que tout va pour le mieux. Mais le bovarysme d'Emma commence déjà à lui jouer des tours. Elle rêvait d'un mariage princier, d'une vie de rêve. Et là, elle réalise qu'elle est coincée dans un village perdu avec un homme à la conversation "aussi plate qu'un trottoir de rue".


En fin de compte, le mariage de Charles et Emma est à l'image de leur relation : plein de malentendus, d'attentes non comblées et d'ironie subtilement distillée par le narrateur. C'est ce qui fait le charme de ce roman de Flaubert, où la réalité se mêle à la fiction, et où l'on ricane souvent.


Alors, les gens, relisez Madame Bovary, ça en vaut vraiment la peine.


(Madame Bovary, Gustave Flaubert, première partie, chapitre 4)

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