top of page
Photo du rédacteurFlo

Intemporelle Starmania !


Ce billet, je l’ai acheté il y a plus de quinze mois et précieusement conservé dans mon coffre-fort.


Bon, d’accord, j’ai juste sauvegardé le courriel et sa pièce jointe. Il est loin, le temps des billets qu’on recevait par la poste.


Une collègue, qui a eu la chance d’assister au spectacle avant moi, m’a envoyé un message pour me dire que le spectacle était « monstre bien ». Aujourd’hui, je ne peux qu’apprécier son jugement, avec toutefois une poignée de bémols.


 

Starmania pour les nuls

L’idée de Starmania prend racine dans un fait divers de 1974 : l’enlèvement de Patricia Hearst, héritière américaine, par un groupe terroriste. Michel Berger est fasciné par le syndrome de Stockholm qu’elle développe et son ralliement à ses ravisseurs. Il en tire le canevas d’une première comédie musicale, Angélina Dumas, qui ne se concrétisera pas. Trois ans plus tard, avec le Québécois Luc Plamondon comme parolier, le projet prend forme pour devenir Starmania.


Luc Plamondon et Michel Berger

(source de l'image : nos enchanteurs)


Le duo s’isole au Cap d’Antibes et décide de sortir un album concept avec de jeunes talents comme Daniel Balavoine et Fabienne Thibeault. Le succès est immédiat : en 1979, Starmania entre dans la légende lors de sa première au Palais des Congrès de Paris.


L’intrigue se déroule dans un futur dystopique où la société est dominée par des médias et des multinationales.


« Sans vous je ne suis rien (Mass média, mass média !) Je suis entre vos mains (Mass média, mass média !) Mais je vous le rends bien (Mass média, mass média !) Je vous tiens dans ma main (Mass média, mass média !) » (Chanson de Zéro Janvier)

L’œuvre aborde des thèmes comme le totalitarisme, l’ambition, l’amour et la quête de célébrité.

L’album-concept s’est vendu à plus de 2,2 millions d’exemplaires avant d’être adapté pour la scène [1].


La distribution originale incluait des artistes emblématiques comme France Gall, Daniel Balavoine et Diane Dufresne.

 

Aparté : la première comédie musicale française

Créé en 1973 par Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil, La Révolution française est le premier opéra rock français. La distribution originale comprenait des artistes emblématiques tels qu’Antoine (Napoléon), Gérard Blanc (Danton), Jean Schultheis (Fouquier-Tinville), les Charlots, le groupe Martin Circus, et le jeune Alain Bashung (Robespierre).


 

Starmania, la tournée en cours

La tournée actuelle de Starmania, mise en scène par Thomas Jolly, revisite le spectacle avec une approche modernisée. Elle met en avant des visuels percutants et une scénographie qui évoque l’univers du jeu vidéo, tout en restant fidèle à l’œuvre originale, sauf la fin.


Répétition de Starmania en 2022, Anthony Dorfmann, voir l'article ici

 

Aparté : Thomas Jolly

Metteur en scène et comédien français né en 1982 à Rouen, il est reconnu pour ses mises en scène ambitieuses, notamment l’intégrale d’Henri VI de Shakespeare, qui a duré 18 heures au Festival d’Avignon en 2014.

En 2022, il a été choisi pour diriger la mise en scène des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques de Paris 2024, une reconnaissance qui confirme son statut d’artiste majeur de la scène française contemporaine.


Thomas Joli sur diorella.fr

 


L’Arena de Genève : attention au torticolis

Quand ton cou oscille de gauche à droite et de haut en bas pendant près de 160 minutes, ça fait bobo ! L’Arena de Genève présente 2 inconvénients majeurs pour les spectateurs. Un : les sièges sont peu confortables (heureusement, ma jaquette a servi de coussin à mon délicat séant). Deux : les sièges des rangées du parterre sont placés exactement l'un derrière l'autre, donc sérieux problèmes de visibilité, surtout pour les spectateurs situés à l’arrière. Cela gêne l’appréciation des détails visuels, particulièrement lors des scènes où les personnages sont allongés sur le sol.

 

Aparté : L’Arena de Genève

L’Arena de Genève, inaugurée le 1er novembre 1995, est la plus grande salle polyvalente de Suisse romande, avec une capacité d’accueil de 9 500 places. Située au sein du complexe Palexpo, elle a été construite en dix mois, nécessitant 330 tonnes de charpente métallique pour la toiture et 570 tonnes de structure pour les gradins. Elle accueille des concerts, événements sportifs, conférences, et comédies musicales, et a vu se produire des artistes tels que Johnny Hallyday, Céline Dion et David Bowie.


L'Arena (site de l'OSR)

 


Starmania, la mise en scène de Thomas Jolly

Cette mise en scène emploie d’impressionnants jeux de lumière, qui donnent vie aux décors futuristes et renforcent le caractère dystopique de l’intrigue. Les projections et les effets stroboscopiques plongent les spectateurs dans un univers aux aspects cyberpunk, soulignant le décalage entre le monde au glamour artificiel des personnages qui gravitent autour de Zéro Janvier et la violence de la société underground, celle des Étoiles noires.


Thomas Jolly a été largement salué pour l’esthétique audacieuse et les visuels spectaculaires de sa mise en scène. Il a su moderniser l’opéra rock tout en rendant hommage à l’œuvre originale. Le spectacle entre en résonance avec les thématiques contemporaines abordées, telles que l’écoanxiété, la montée de l’extrémisme et la téléréalité.


Parmi les points forts, les critiques ont souligné la capacité de Thomas Jolly à réinterpréter chaque personnage, tout en conservant la noirceur et la profondeur de l’intrigue. Le personnage du Gourou Marabout, par exemple, disparu dans les précédentes versions, a été réintroduit. [2]


Cependant, certains avis pointent un manque de profondeur émotionnelle à certains moments. La présence de Roger Roger, incarné par une intelligence artificielle avec la voix de Thomas Jolly, est ainsi perçue comme trop répétitive et peu dramatique.

 

Aparté : Le personnage du Gourou Marabout

J’ai découvert ce personnage dans cette version, car il n’était pas présent la dernière fois que j’ai vu Starmania.


Le Gourou Marabout est un écologiste fanatique qui propose des séances collectives presque orgiaques. Il est ici interprété soit par un homme (Simon Geoffroy), soit par une femme (Malaïka Lacy), selon les représentations, illustrant ainsi l’ambiguïté et l’universalité de ce rôle. Absent de certaines adaptations, il a été réintégré pour souligner la pertinence des thèmes environnementaux. Avec son discours radical sur la protection de la planète, il fait écho aux mouvements de plus en plus polarisés que l’on observe aujourd’hui dans la lutte pour le climat.


Il illustre aussi les dangers du charisme et de la manipulation, caractéristiques typiques des leaders de sectes environnementales, qui profitent de l’angoisse climatique pour attirer des adeptes vulnérables au moyen de messages de peur ou d’espoir démesurés.

 

 

Starmania, références et intertextualité


  • Ziggy et David Bowie : Ziggy est un jeune homme marginalisé qui travaille dans l’ombre, mais rêve de célébrité. Il confie à Marie-Jeanne, la serveuse automate, que, pour ses quinze ans, sa mère lui a offert un coffret de disques de Tchaïkovsky. Le lendemain, il l’a échangé et a alors rencontré David Bowie, qu’il considère comme son premier amour. Il a d’ailleurs « changé [son] nom pour lui ».
  • Marilyn Monroe et Stella Spotlight : Stella Spotlight, star déchue, est vêtue d’une robe blanche similaire à celle de Marilyn Monroe dans The Seven Year Itch. Ce choix vestimentaire symbolise à la fois la grandeur passée et la fragilité de l’icône, rendant hommage à Monroe tout en rappelant les aspects destructeurs de la quête de célébrité.
  • Zéro Janvier et Le Cinquième élément : Le personnage de Zéro Janvier arbore une coiffure rappelant celle de Zorg, le méchant incarné par Gary Oldman dans Le Cinquième élément de Luc Besson. Ce clin d’œil visuel ancre le personnage dans la tradition des antagonistes futuristes, renforçant son rôle de despote manipulateur.
  • Zéro Janvier et Donald Trump : Zéro Janvier présente des similitudes avec Donald Trump. Tous deux sont des milliardaires égocentriques cherchant à accéder au pouvoir politique en jouant sur des thèmes nationalistes et sécuritaires. Zéro Janvier construit une tour dorée qui surplombe Monopolis, symbolisant sa domination, tandis que Trump utilise ses gratte-ciel comme marqueurs de puissance. Leur ascension repose sur des discours populistes et une vision de la société très polarisée, faisant de Zéro Janvier un précurseur fictif de la figure de Trump.
  • Naziland : Cette discothèque fictive située au sommet de la Tour de Zéro Janvier est un lieu de luxe et de débauche où se réunissent les élites et les puissants. Elle permet d’opposer l’insouciance de l’élite qui profite d’une fête débridée à la violence qui gronde en bas de l’échelle sociale. Sans compter qu’il s’agit bien évidemment d’un symbole phallique…
  • Baudelaire et « L’Invitation au voyage » : Zéro Janvier (sauf erreur de ma part) cite les paroles de L’Invitation au voyage de Charles Baudelaire. « Là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté »

 

 

Aparté : Ziggy Stardust de Bowie

Ziggy Stardust est un personnage de fiction créé par David Bowie, introduit pour la première fois dans l’album The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars en 1972. Ziggy est une rock star androgyne extra-terrestre, venue sur Terre pour délivrer un message d’amour et de paix dans un contexte de fin du monde imminent. Le personnage s'inspire entre autres de Vince Taylor, un chanteur britannique ayant sombré dans la folie, et de stars du rock américaines des années 60, notamment Iggy Pop et Lou Reed.


Ziggy Stardust (source : RTL)


Ziggy est caractérisé par son apparence flamboyante, mêlant des éléments de la mode japonaise, des codes visuels du théâtre kabuki et des tenues inspirées du film A Clockwork Orange. Sa coiffure emblématique, un mulet rouge vif, et ses costumes extravagants conçus par Kansai Yamamoto, ont contribué à façonner le style du glam rock.


Bowie a créé Ziggy pour incarner un « messie du rock » charismatique, mais également pour critiquer la superficialité du monde de la musique et de la célébrité. Ce personnage est devenu iconique, un symbole de liberté artistique et de transgression des genres.

 


L’intemporalité de Starmania 

Starmania est une œuvre intemporelle qui aborde des thèmes toujours d’actualité : montée des extrémismes, crise écologique, quête de pouvoir, identité...


Zéro Janvier, avec ses discours populistes et sa soif de contrôle, fait écho aux politiques contemporains (coucou Trump et Poutine !). Le Gourou Marabout incarne les dangers de l’éco-radicalisme, tandis que les questions de genre et d’identité de Ziggy résonnent avec les luttes LGBTQ+ actuelles.


Les Étoiles noires sont des jeunes marginalisés qui se révoltent contre l’ordre établi. Ils symbolisent les mouvements de contestation urbaine contre les inégalités sociales et l’exclusion. Leurs actions terroristes rappellent certaines formes de protestation violente chez les jeunes désillusionnés par l’absence de perspectives. Ils incarnent un cri de révolte dans un monde dominé par les élites et la précarité sociale.


L’ancienne star de cinéma sur le déclin Stella Spotlight incarne la quête désespérée de célébrité et le culte de l’image. Elle met en lumière les dérives du star-system et le désespoir de ceux qui refusent de vieillir ou de perdre leur influence. Stella cherche à tout prix à préserver sa notoriété, quitte à vivre dans une illusion de grandeur. Son personnage reflète également les pressions de l’industrie du divertissement, où l’apparence prime sur l’authenticité et où l’oubli est redouté.

 


Et l’amour dans tout ça ?

Chacun des trois couples présents dans Starmania incarne une facette de la passion humaine et reflète des dilemmes et des tensions intemporels.


Johnny Rockfort et Cristal représentent l’amour passionné, celui qui brise les conventions et prend racine dans la révolte. Johnny, leader des Étoiles noires, est un marginal violent, tandis que Cristal fait partie de l’élite. Leur histoire d’amour fulgurante se construit dans un contexte de violence et de lutte contre le système incarné par Zéro Janvier. Cristal quitte la sécurité de sa vie pour rejoindre Johnny, mais leur relation est menacée par la jalousie de Sadia qui se sent trahie par Johnny. Sa jalousie provoquera la mort des deux amoureux.


À l’opposé de la passion dévorante de Johnny et Cristal, l’amour de Marie-Jeanne pour Ziggy est marqué par le silence et la tristesse. Marie-Jeanne, serveuse à l’Underground café, est un personnage simple et discret. Son amour pour Ziggy « qui aime les garçons » est voué à rester à sens unique.


Enfin, la relation entre Zéro Janvier et Stella Spotlight représente la superficialité et l’opportunisme. Zéro Janvier, en quête de pouvoir politique, voit en Stella, star déchue, un outil pour renforcer son image publique. Pour Stella, qui cherche désespérément à retrouver sa gloire passée, Zéro représente une dernière chance de briller avant de disparaître. Leur relation n’est pas bâtie sur l’amour, mais sur des intérêts réciproques, ce qui la condamne à l’échec. Ce couple est voué à se briser dès que l’un des partenaires perdra son utilité pour l’autre.


 

Starmania, la fin de l’histoire

Version de 1978 (source, Wikipedia) :

Les noces de Zéro Janvier et Stella Spothlight sont célébrées au sommet de la tour, dans la discothèque Naziland. Cristal, devenue une héroïne, et Johnny, séparé de Sadia, prévoient de faire exploser la tour. Sadia, jalouse, les dénonce à Zéro Janvier. Les hommes armés de Zéro Janvier poursuivent les Étoiles noires ; Cristal, jetée du haut de la tour, perd la vie.


Peu après, Zéro Janvier est élu président de l’Occident. Johnny tente de l’assassiner, mais il est abattu par ses hommes de main. La scène finale voit l’esprit de Johnny s’élever vers d’autres cieux, pendant que les Terriens chantent à l’univers leur désespoir vis-à-vis de leur condition.


Version de Thomas Jolly

Cristal meurt toujours, mais de façon différente. Elle est abattue par Sadia, alors qu’elle se trouve dans la tour avec Johnny pour commettre leur attentat. Johnny pleure en chantant le « SOS d’un terrien en détresse », puis la bombe explose, détruisant la tour et emportant dans son effondrement tous les protagonistes de l’histoire, Marie-Jeanne exceptée.

 

Tout cela m’a poussée à me demander si le terme « comédie musicale » convient vraiment à Starmania. La dénomination « opéra-rock » me paraît bien plus adaptée.


Ou, mieux encore : tragédie musicale !

 

Comments


bottom of page