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Dragons (partie 1/3) : panorama des mythes et légendes à travers le monde - Europe / Occident

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    Flo
  • 3 déc.
  • 13 min de lecture

Dragons du monde : du Fáfnir nordique au Long chinois, voyage au cœur des légendes draconiques


Dans ces articles, nous explorerons les dragons à travers le monde :

Partie 1 :

→ Introduction

→ Tradition biblique et chrétienne (Léviathan, Dragon de l’Apocalypse, Saint Georges…)

→ Mythologie grecque (Ladon, Hydre de Lerne, Python…)

→ Rome antique (dragon de Mars, Cadmus, draco militaire…)

→ Mythologie nordique et germanique (Níðhöggr, Fáfnir, Jörmungandr…)

→ Traditions celtiques et britanniques (Y Ddraig Goch, Uther Pendragon…)

→ Mythologie slave (Zmey Gorynych, le zmey séducteur…)

→ Traditions baltes et finno-ougriennes (Žaltys, Aitvaras, Sárkány…)

Partie 2 :

→ Dragons asiatiques (Long chinois, Ryū japonais, Yong coréen…)

→ Moyen-Orient ancien (Tiamat, Zahhāk)

Inde et Asie du Sud-Est (Nāgas, Apalala…)

Asie du Sud-Est insulaire (Bakunawa, Antaboga…)

Partie 3 :

→ Mythologies africaines (Serpent Arc-en-ciel, Ninki Nanka, Mokele-mbembe…)

→ Océanie (Serpent Arc-en-ciel aborigène, Taniwha, Mo'o…)

→ Serpents à plumes de Mésoamérique (Quetzalcóatl, Kukulkán)

→ Symbolique générale du dragon (chaos primordial, gardien du seuil, puissance souveraine…)

→ Sources des 3 parties



Quand les dragons régnaient…


Il y a un dragon dans presque chacun de mes livres.


Pas toujours visible, pas toujours vivant. Pas toujours nommé. Le dragon, c’est la créature qui m’accompagne depuis l’enfance et que je n’ai jamais cessé de convoquer dans mes histoires. Peut-être parce que je suis du signe du dragon de feu (zodiaque chinois).


Cette présence ancienne, cette force fascine autant qu’elle terrifie, et l’humanité entière partage cette obsession. Des tablettes sumériennes aux blockbusters hollywoodiens, le dragon traverse les cultures et les époques, toujours reconnaissable, souvent réinventé. Créature universelle, il surgit sur tous les continents, dans toutes les civilisations, comme si l’imaginaire humain ne pouvait pas se passer de lui.

Mais d’où vient cette créature ? Pourquoi la retrouve-t-on partout, de la Scandinavie à la Chine, de la Bible aux jeux vidéo ? Et surtout : que raconte-t-elle de nous ?



Dragon, serpent, guivre : un soupçon de vocabulaire


Avant de plonger dans les mythologies, une précision s’impose. Le mot « dragon » est un étiquetage moderne que nous appliquons à des créatures très différentes selon les cultures et les langues d’origine.


Le grec drakôn désigne un grand serpent. Le latin draco en dérive. Le vieux norrois ormr (« ver », « serpent ») donne le wyrm anglo-saxon, d’où viennent nos vers et nos vouivres.


La guivre (ou wyverne en anglais, du latin vipera) désigne dans certaines traditions, notamment l’héraldique britannique moderne, un dragon à deux pattes et deux ailes, par opposition au dragon à quatre pattes. Cette distinction morphologique, progressivement établie à partir de la fin du Moyen Âge dans le contexte héraldique anglais, n’est cependant pas universelle : dans d’autres traditions européennes, le terme « dragon » recouvre des créatures à deux ou quatre pattes sans distinction stricte. Dans le folklore français, la vouivre (variante de « guivre ») est souvent décrite comme un serpent ailé portant une escarboucle (pierre précieuse lumineuse) sur le front, gardienne des sources et des trésors souterrains.


Vouivre héraldique sur le drapeau du Wessex, Angleterre
Vouivre héraldique sur le drapeau du Wessex, Angleterre

Le nāga indien est un serpent divin à capuchon de cobra. Le long chinois, créature composite sans ailes, n’a rien de commun avec le dragon cracheur de feu européen. Quant au « serpent à plumes » méso-américain, il est davantage dieu que monstre.


D’où vient cette universalité ? Des travaux récents en mythologie comparée suggèrent que le motif du « proto-dragon » (grand serpent gardien des eaux, parfois ailé) pourrait remonter à la préhistoire et s’être diffusé progressivement depuis l’Afrique vers le reste du monde. D’autres chercheurs rappellent que la découverte de grands fossiles (dinosaures, reptiles marins) a pu nourrir ces légendes : en Chine, certains os de dinosaures furent longtemps interprétés comme des « os de dragon » aux vertus médicinales.

[développement et nuance du propos en fin d’article – Annexe A]



Les dragons dans les mythes et légendes du monde


Les dragons dans la tradition biblique et chrétienne


La Bible regorge de créatures draconiques, souvent associées au chaos et au mal.


Le Léviathan, monstre marin primordial


Il est mentionné dans le Livre de Job, les Psaumes et le Livre d’Isaïe. Le Léviathan incarne les forces du chaos aquatique que Dieu a vaincues lors de la Création. Dans Job 41, il est décrit avec des écailles impénétrables, une gueule crachant des flammes et une puissance que nul homme ne peut défier. Le texte évoque ses éternuements qui font jaillir la lumière, ses yeux comparés à l’aurore, les torches et les étincelles qui s’échappent de sa gueule.


Le Léviathan symbolise l’orgueil indomptable et les forces primitives que seul le divin peut maîtriser.


La destruction du Léviathan
La destruction du Léviathan, gravure de Gustave Doré (1865)

Béhémoth, la puissance terrestre


Le Livre de Job (chapitre 40) décrit également Béhémoth, créature terrestre colossale qui forme un couple cosmique avec le Léviathan marin. Sa queue est comparée à un cèdre, ses os à des tubes de bronze, ses membres à des barres de fer. Il broute l’herbe comme un bœuf, se couche sous les lotus, dans les roseaux et les marécages.


La tradition rabbinique, notamment dans le Livre d’Hénoch et le Talmud, enseigne que Dieu sépara Béhémoth et Léviathan lors de la Création pour qu’ils ne détruisent pas le monde par leur union. Selon cette tradition, ils seront servis lors du banquet messianique qui célébrera la fin des temps, nourrissant les justes de leur chair.


Béhémoth incarne la puissance primordiale de la terre, comme le Léviathan incarne celle des océans. Ensemble, ils représentent les forces du chaos que seul le divin peut maîtriser.


Béhémoth et Léviathan, aquarelle préparatoire de William Blake pour les Illustrations du Livre de Job
Béhémoth et Léviathan, aquarelle préparatoire de William Blake pour les Illustrations du Livre de Job

Le Dragon de l’Apocalypse


Dans le Livre de l’Apocalypse (chapitre 12), un « grand dragon rouge, ayant sept têtes et dix cornes » affronte la Femme céleste et l’archange Michel. Ce dragon est explicitement identifié à Satan : « le serpent ancien, appelé le diable et Satan, celui qui séduit toute la terre ».


Cette identification du dragon au Mal absolu marquera durablement l’imaginaire occidental, faisant du dragon une créature à abattre plutôt qu’à vénérer.


Saint Georges et le dragon


La légende de saint Georges, popularisée par la Légende dorée de Jacques de Voragine au XIIIe siècle, raconte comment ce chevalier chrétien terrassa un dragon qui terrorisait une cité de Libye (ou de Cappadoce selon les versions). Le monstre exigeait un tribut quotidien : d’abord des moutons, puis des jeunes gens tirés au sort. Quand le sort tomba sur la fille du roi, Georges intervint, blessa le dragon et le ramena en ville où il le décapita après que la population eut accepté le baptême.


Ce récit incarne le triomphe de la foi chrétienne sur le paganisme, le chevalier terrassant le dragon devenant l’image même du combat du Bien contre le Mal.


Saint Georges et le dragon par Uccello
Tableau de Paolo Uccello (1397 - 1475), musée Jacquemart André

Les dragons dans la mythologie grecque


En grec ancien, le mot drakôn (δράκων) désigne un grand serpent, mais l’étymologie révèle une nuance fascinante : ce terme dérive du verbe dérkomai, « regarder d’un œil perçant ». Le dragon grec est ainsi d’abord celui qui voit, qui guette, qui ne dort jamais. Cette dimension de vigilance absolue explique son rôle récurrent de gardien. La distinction entre serpent et dragon reste floue dans les textes antiques.

Plusieurs créatures draconiques peuplent les mythes grecs :


Ladon, le dragon aux cent têtes


Dragon aux cent têtes (ou serpent géant selon les versions), Ladon gardait les pommes d’or du jardin des Hespérides, offertes à Héra lors de son mariage avec Zeus. Héraclès (Hercule) dut le tuer – ou l’endormir – dans le cadre de ses douze travaux. Après sa mort, Ladon fut placé dans le ciel sous la forme de la constellation du Dragon.

Sa fonction de gardien d’un trésor divin préfigure un rôle récurrent du dragon dans les mythologies : celui qui protège ce que les mortels convoitent.


Le dragon de Colchide


Ce dragon insomniaque gardait la Toison d’or dans le royaume de Colchide. Jason, venu s’emparer de la relique, ne put le vaincre par la force. C’est Médée, la magicienne, qui endormit le monstre grâce à ses enchantements, permettant au héros de s’emparer de la Toison.


Ici, le dragon n’est pas tué, mais contourné, et c’est une femme qui détient le pouvoir de le neutraliser.


Athéna face au dragon en train de régurgiter Jason (480-470 av. J.-C.)
Athéna face au dragon en train de régurgiter Jason (480-470 av. J.-C.)

L’Hydre de Lerne, dont les têtes repoussent


L’Hydre de Lerne est l’un des adversaires les plus célèbres d’Héraclès, affronté lors de son deuxième travail. Ce serpent d’eau gigantesque vivait dans les marais de Lerne, en Argolide, terrorisant la région de son souffle empoisonné.


Sa particularité la plus redoutable : ses multiples têtes (le nombre varie selon les sources, de cinq à cent, mais la tradition la plus répandue en compte neuf) repoussaient doublement chaque fois qu’on en tranchait une. De plus, l’une de ses têtes était immortelle.


Héraclès dut faire preuve d’ingéniosité pour la vaincre. Accompagné de son neveu Iolaos, il trancha les têtes une à une pendant qu’Iolaos cautérisait immédiatement les moignons avec des torches enflammées, empêchant ainsi leur repousse. La tête immortelle fut enterrée sous un rocher colossal. Le héros trempa ensuite ses flèches dans le sang venimeux de l’Hydre, les rendant mortelles au moindre contact, poison qui causera plus tard sa propre mort tragique.


Fille de Typhon et d’Échidna selon Hésiode, l’Hydre incarne la menace qui se multiplie face à la force brute. Elle ne peut être vaincue par la violence seule, mais exige stratégie et coopération. Après sa mort, Héra, qui haïssait Héraclès, plaça l’Hydre dans le ciel sous la forme de la constellation du même nom.


Hercule et l'Hydre de Lerne, Gustave Moreau, 1876
Hercule et l'Hydre de Lerne, Gustave Moreau, 1876

Python, dragon né de la boue laissée par le Déluge


Serpent ou dragon gigantesque né de la boue laissée par le Déluge, Python vivait sur le mont Parnasse et terrorisait les habitants de Delphes. Le jeune dieu Apollon le tua de ses flèches et fonda sur ce lieu le célèbre oracle. Les Jeux pythiques furent institués en commémoration de cette victoire.


Le meurtre de Python symbolise le triomphe de l’ordre olympien sur les forces chthoniennes du chaos primitif. C’est de ce serpent que la Pythie, prêtresse de l’oracle de Delphes, tire son nom : en s’appropriant le site où gisait Python, Apollon s’empara aussi de son pouvoir prophétique, que la Pythie transmettait désormais en son nom.


Typhon, père de nombreux monstres


Fils de Gaïa et du Tartare, Typhon est parfois décrit avec des attributs draconiques : cent têtes de dragon crachant le feu, un corps couvert de serpents. Il est le père de nombreux monstres, dont le dragon Ladon, l’Hydre de Lerne et la Chimère.


Typhon affronta Zeus dans un combat titanesque. Le roi des dieux finit par le vaincre et l’ensevelir sous l’Etna, dont les éruptions seraient les manifestations de sa rage.


Zeus dardant son foudre sur Typhon, v. 550 av. J.-C.,
Zeus dardant son foudre sur Typhon, v. 550 av. J.-C.,

Les dragons dans la mythologie romaine


Les Romains, héritiers des Grecs, ont intégré les dragons dans leur propre mythologie tout en leur donnant des nuances spécifiques.


Le dragon gardien des trésors


Dans la tradition romaine, le draco (du grec drakôn) désigne principalement un grand serpent gardien. Contrairement aux Grecs qui développèrent des récits complexes autour de chaque dragon, les Romains les utilisèrent davantage comme symboles militaires et allégoriques.


Les légions romaines adoptèrent le draco comme enseigne militaire dès le IIe siècle, probablement emprunté aux Daces et aux Sarmates. Le draconarius (porte-enseigne) brandissait une hampe surmontée d’une tête de dragon en bronze ou en argent, prolongée d’un corps en tissu qui ondulait et sifflait dans le vent lors des charges. Cette enseigne terrifiait les ennemis et ralliait les troupes.


Cadmus et le dragon de Mars


Le mythe de Cadmus, fondateur de Thèbes, met en scène un dragon romain majeur. Selon Ovide dans les Métamorphoses, Cadmus cherchait de l’eau pour un sacrifice lorsque ses compagnons furent dévorés par un dragon gigantesque, gardien d’une source sacrée dédiée à Mars.


Cadmus affronta la créature et la tua en lui enfonçant sa lance dans la gueule. Sur conseil d’Athéna, il sema les dents du dragon dans la terre : des guerriers armés en surgirent, les Spartes (« les Semés »), qui s’entre-tuèrent jusqu’à ce qu’il n’en reste que cinq. Ces survivants devinrent les fondateurs des grandes familles de Thèbes.


Ce mythe illustre la transformation de la violence draconique en fondation civilisatrice : le dragon vaincu engendre les ancêtres d’une cité.



Les dragons dans la mythologie nordique et germanique


Les dragons scandinaves comptent parmi les plus célèbres de la mythologie mondiale. Créatures de chaos et de destruction, ils sont intimement liés au destin du monde.


Níðhöggr (Nidhögg), dragon du Niflheim


« Celui qui frappe avec malveillance » : ce dragon vit dans Niflheim, le monde des ténèbres, et ronge perpétuellement les racines d’Yggdrasil, l’arbre-monde qui soutient les neuf royaumes. Il dévore également les cadavres des parjures, des meurtriers et des adultères dans le rivage des cadavres (Náströnd).


Nidhögg incarne la destruction lente, mais inexorable. Dans la Völuspá, il apparaît encore après le Ragnarök, portant des corps sur ses ailes. Selon certaines lectures de ce passage, cela suggère qu’il survit au cataclysme, comme si certaines forces ne pouvaient jamais être totalement vaincues.


Nidhögg au pied d'Yggdrasil (Midjourney)
Nidhögg au pied d'Yggdrasil (Midjourney)


Fáfnir, le nain corrompu (la légende de Sigurd/Siegfried)


L’histoire de Fáfnir, racontée dans la Völsunga saga et l’Edda poétique, est celle d’une corruption par la cupidité. Fáfnir était à l’origine un nain, fils du roi Hreidmar. Lorsque les dieux Odin, Loki et Hœnir tuèrent accidentellement son frère Otr, ils durent payer une compensation en or, un trésor maudit par le nain Andvari.


Consumé par l’avidité, Fáfnir tua son père pour s’emparer de l’or, puis se transforma en dragon pour mieux le garder. Il s’installa sur la lande de Gnita, crachant du poison et terrorisant les environs.


Le héros Sigurd (Siegfried dans la tradition germanique), conseillé par le forgeron Regin (frère de Fáfnir), creusa une fosse sur le chemin du dragon et le transperça par en dessous. En se baignant dans le sang de Fáfnir, Sigurd devint invulnérable, sauf en un point de son dos où une feuille s’était posée. En goûtant le cœur du dragon, il acquit la capacité de comprendre le langage des oiseaux.


Cette histoire inspira directement Tolkien pour la création de Smaug.


Siegfried tuant Fafnir, Arthur Rackham (1911)
Siegfried tuant Fafnir, Arthur Rackham (1911)

Jörmungandr, image de l’ouroboros


Le serpent de Midgard, fils de Loki et de la géante Angrboda, fut jeté dans l’océan par Odin. Il grandit jusqu’à encercler le monde entier, se mordant la queue, image de l’ouroboros, le cycle éternel.

Jörmungandr est l’ennemi juré de Thor. Lors du Ragnarök, ils s’affronteront une dernière fois. Thor tuera le serpent, mais succombera lui-même au venin de la créature après avoir fait neuf pas.

![Image : Jörmungandr encerclant le monde]



Les dragons dans la mythologie celtique et britannique


Les îles britanniques possèdent une riche tradition draconique, intimement liée à l’identité nationale et aux légendes arthuriennes.


Y Ddraig Goch, le Dragon rouge du Pays de Galles


Le dragon rouge est le symbole national du Pays de Galles, présent sur son drapeau depuis des siècles. Son origine remonte à la légende de Lludd et Llefelys, relatée dans le Mabinogion.


Selon ce récit, deux dragons, l’un rouge, l’autre blanc, s’affrontaient sous la terre de Bretagne, causant des cris terrifiants qui rendaient les femmes stériles et les hommes fous. Le roi Lludd, conseillé par son frère Llefelys, les captura en les enivrant d’hydromel et les enterra sous la colline de Dinas Emrys.


Plus tard, dans l’Historia Brittonum de Nennius, le jeune Merlin (Myrddin) révéla au roi Vortigern la présence de ces dragons sous sa forteresse. Il prophétisa que le dragon rouge (les Bretons) finirait par chasser le dragon blanc (les Saxons).


Uther Pendragon, père du roi Arthur


Le père du roi Arthur porte le titre de « Pendragon », généralement interprété comme « tête de dragon » ou « chef suprême » – l’ambiguïté du pen brittonique laisse place aux deux lectures. Selon Geoffroy de Monmouth, Uther adopta ce nom après avoir vu une comète en forme de dragon, présage de sa royauté et de la gloire future de son fils.


Le dragon devient ainsi un symbole de légitimité royale et de puissance souveraine.


Uther Pendragon, Enluminure de Matthieu Paris  (XIIIe siècle)
Uther Pendragon, Enluminure de Matthieu Paris (XIIIe siècle)


Les dragons dans la mythologie slave


Les traditions slaves, de la Russie à la Serbie, regorgent de créatures draconiques aux caractéristiques variées.


Zmey Gorynych, dans les épopées russes médiévales


Le plus célèbre dragon slave est Zmey Gorynych, créature à trois têtes crachant le feu. Son nom signifie « serpent fils de la montagne ». Il apparaît dans les byliny, les épopées russes médiévales, où il est souvent l’adversaire de héros comme Dobrynya Nikitich ou Ivan Tsarévitch.


Zmey Gorynych enlève des princesses, dévaste des villages et exige des tributs. Sa défaite par le héros représente le triomphe de la Russie chrétienne sur les forces du mal, souvent associées aux envahisseurs mongols ou tatars.


Le Zmey (Zmei Gorynich), séducteur de femmes


Dans certaines traditions slaves, le zmey (ou zmaj chez les Slaves du Sud) n’est pas qu’un monstre. Il peut prendre forme humaine (celle d’un beau jeune homme) pour séduire les femmes. Les enfants nés de ces unions possèdent des pouvoirs surnaturels.


Cette ambiguïté du dragon slave, à la fois monstre et amant, destructeur et géniteur, contraste avec la vision purement maléfique du dragon chrétien occidental.


 Zmei Gorynich, le dragon à 3 têtes (1912)
Zmei Gorynich, le dragon à 3 têtes (1912)


Les dragons dans la mythologie balte et finno-ougrienne


Les peuples baltes (Lituanie, Lettonie) et finno-ougriens (Finlande, Estonie, Hongrie) possèdent leurs propres traditions draconiques, souvent méconnues mais riches en symbolisme.


Žaltys et Aitvaras : les serpents-dragons baltes


Dans la mythologie lituanienne et lettone, le Žaltys (žalčiai au pluriel) est un serpent sacré, parfois décrit avec des attributs draconiques, vénéré comme protecteur du foyer. On lui offrait du lait et on le considérait comme un esprit bienveillant. Tuer un žaltys portait malheur.


L’Aitvaras (Lituanie) ou Pūķis (Lettonie) est une créature plus ambiguë : dragon miniature ou coq-serpent volant, parfois décrit comme une étoile filante. Il s’attache à une maison et apporte richesse à ses habitants en volant les biens des voisins. Mais cette prospérité est maudite : l’aitvaras exige en échange l’âme de son propriétaire.


Cette figure illustre la vision balte du dragon comme force ambivalente : protecteur mais dangereux, bienfaiteur mais corrupteur.


Sárkány : le dragon hongrois


Dans la mythologie hongroise, le Sárkány (apparenté au slave zmey) est un dragon à plusieurs têtes (généralement sept ou douze) qui enlève des princesses et terrorise les royaumes. Il est souvent vaincu par le héros Fehérlófia (« Fils de Jument Blanche ») ou d’autres figures héroïques.


Mais la tradition hongroise connaît aussi un dragon bienveillant : le Sárkánygyermek (« enfant-dragon »), un héros né avec des dents ou d’autres signes draconiques, doté d’une force surhumaine et destiné à protéger son peuple. Ces héros-dragons combattent les dragons maléfiques dans un renversement fascinant du paradigme.


A fight with the Sárkány (Wikipedia)
A fight with the Sárkány (Wikipedia)

Lohikäärme et Ajatar : créatures du Kalevala


Dans la mythologie finnoise, immortalisée par le Kalevala (épopée nationale compilée au XIXe siècle), le Lohikäärme (littéralement « serpent-saumon ») est un dragon associé aux eaux et aux trésors engloutis.

Ajatar, figure plus ancienne, est une démone-dragonne, esprit maléfique des forêts et des maladies. Décrite comme une créature serpentine aux multiples têtes, elle empoisonne les eaux et répand la peste. Elle incarne les forces destructrices de la nature sauvage.


Ces créatures finno-ougriennes, moins connues que leurs homologues grecs ou nordiques, témoignent de la persistance du motif draconique jusque dans les régions les plus septentrionales d’Europe.



Le dragon dans mes livres : échos d’une tradition millénaire


Ces mythes résonnent dans mes récit. Le Grand Ver des monts Ka'hari, dans Le Sang de la guerrière, reprend l’archétype du wyrm nordique jusque dans son nom.


Quarante mètres d’écailles noires à reflets bleutés, une forêt de crocs jaunis par les siècles, une voix grave et sifflante comme celle des serpents antiques.


Cependant, mon dragon transmute les mythes. Au lieu de l’or maudit, il garde une bibliothèque. Quand mes héros pénètrent dans sa caverne, il ne les dévore pas et se moque de leurs préjugés.


Mon Grand Ver est un érudit, un sage. Et quand personne ne regarde, il écoute un dragonnet espiègle lui raconter ses aventures.


Mais est-il vraiment un allié ?



Annexe A

Des travaux récents en mythologie comparée, notamment ceux du chercheur français Julien d’Huy, qui applique aux récits une méthode dite « phylogénétique », suggèrent que certains motifs de « proto-dragon » pourraient remonter à la préhistoire et s’être diffusés progressivement depuis l’Afrique au fil des migrations humaines. Cette hypothèse, encore débattue au sein de la communauté scientifique, repose sur l’analyse statistique de nombreuses versions du mythe du dragon dans différentes régions du monde.

D’autres chercheurs, comme l’historienne américaine Adrienne Mayor, ont souligné que la découverte de grands fossiles a pu nourrir certaines traditions légendaires. En Chine, des fossiles, principalement des ossements de mammifères préhistoriques (mammouths, rhinocéros, chevaux anciens), ont longtemps été interprétés et utilisés comme des « os de dragon » aux vertus médicinales. Des travaux récents suggèrent que, dans certaines communautés rurales, des fossiles de dinosaures ont également été employés à des fins thérapeutiques jusqu’à une période très récente.

L’hypothèse d’un lien entre fossiles de dinosaures et mythes de dragons, popularisée par Adrienne Mayor, a cependant été contestée pour le cas précis des griffons dans un article de Witton et Hing (2024). Elle demeure néanmoins considérée comme plausible pour d’autres créatures mythologiques, selon les contextes géographiques et historiques.



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